Ghislaine Vappereau,  texte de Maïten Bouisset, 1992

In 1er Grand Prix d’Art contemporain de Flaine, 1992

1977, Ghislaine Vappereau présente pour la première fois La cuisine. Dans un texte paru peu de temps après et qu’il convient de rappeler au vu de son travail actuel, elle écrit : « J’avais trouvé dans l’herbe prés d’une ferme abandonnée depuis longtemps à la suite d’un incendie, une casserole émaillée bleue, percée. Sa taille est si réduite que je ne connais pas de mot qui lui convienne parfaitement. Aussi, parodiant sa fonction par son état de déchet, elle fait appel à une autre abstraction, car elle existe en dehors de toute formulation. Cette double abstraction, la perte d’une fonction et le manque de désignation a déclenché un parcours : le sentiment de cuisine. »

La cuisine, telle qu’elle fut montrée à l’époque, se présentait comme une « installation »tridimensionnelle statique de type scénographique, légèrement surélevée, pour ne pas dire soclée, qui maintenait le regardeur à une certaine distance frontale. L’agencement en profondeur des différents éléments entrant dans la vaste composition, comme la répartition des sources lumineuses, les rendaient parfaitement lisibles et visibles selon les données d’une perspective traditionnelle qui n’était pas sans évoquer certaines natures mortes surchargées de la peinture hollandaise du XVIIè siècle par exemple. Par ailleurs, ce que raconte Ghislaine Vappereau pour la petite casserole bleue vaut pour le mobilier ainsi que pour l’ensemble des ustensiles qui saturaient l’espace. Le tout avait été récupéré dans une longue dérive qui participait totalement de l’histoire de l’élaboration de la pièce, mettant en évidence l’acuité d’une démarche qui pouvait reconnaître la charge émotionnelle comme la qualité plastique d’un objet de rebut.

« Même si le banal et le quotidien contiennent un potentiel esthétique », avait affirmé John Cage dans années cinquante, entrainant Robert Rauschenberg dans la réalisation de ses Combine Paintings. Ainsi, depuis sa première œuvre importante, le travail de Ghislaine Vappereau peut s’analyser au vue d’un ensemble de filiation parmi lesquelles il faudrait évoquer Kurt Schwitters et bien sur certaines des personnalités du groupe des Nouveaux Réalistes. Daniel Spoerri surtout, à propos duquel Pierre Restany disait «  il se détrompe l’œil en nous crevant les yeux, il collectionne en obsédé les instruments de cuisine et tous les types de fétiches de l’affectivité collective ». Par ailleurs, dans le texte déjà cité, l’artiste évoque le souvenir d’une cuisine dans laquelle elle entrait «  à l’heure du goûter, encore exaltée par le plaisir des jeux ». La chose, si elle renvoie au domaine de l’affectif est beaucoup moins anodine qu’il n’y paraît. La cuisine en effet fonctionnant comme l’un des lieux privilégiés sécurisants à l’extrême de l’enfance, il est difficile de ne pas y voir l’image métaphorique du ventre maternel, ce qui pourrait, c’est là une hypothèse personnelle, dans l’histoire de la création récente renvoyer également à deux types d’espaces clos qui appartiennent aux mêmes motivations : les demeures d’Etienne Martin et les igloos de Mario Merz. A l’évidence , et dés ses débuts, Ghislaine Vappereau qui est également détentrice d’un doctorat en Arts Plastiques obtenu à la Sorbonne, installe son propos dans une certaine tradition de l’histoire de la peinture comme de la sculpture qu’il parait impossible de négliger.

1984. De cette année charnière dans le parcours de l’artiste, date l’une de ses toutes dernières Cuisines, qu’elle a d’ailleurs trés vite désignée en tant qu’Installations. Dans un chromatisme dominant de rouge et de jaune, l’espace imparti à cette composition encore tridimensionnelle est sensiblement réduit. Le mobilier et les ustensiles y sont moins nombreux, et si la lisibilité de l’ensemble paraît plus évidente deux éléments viennent perturber l’ordre de la perspective traditionnelle en usage jusque là. Un placard mural est à la limite de la dislocation totale et les différents plans dont il est composé semblent se rabattre contre le mur. Le tiroir de la table très en évidence, est en équilibre instable et joue les trouble-fête dans l’organisation extrêmement rigoureuse de la composition. «  La  cuisine réduit son espace à un plan, sa réalité à une notion » , écrivait Ghislaine Vappereau en 1979 anticipant ainsi sur les développements qu’elle allait donner à un certain « sentiment de cuisine ».

De 1984, datent également les premiers Bas-Reliefs. De la Scénographie saturée d’objets, l’artiste évolue dès lors vers une composition minimale de très peu d’épaisseur. Aplatissant les volumes pour les transposer sur le seul mur, jouant sur la notion d’assemblage, tel qu’ont pu le pratiquer Picasso ou les constructivistes russes dans les premières décennies du siècle, Ghislaine Vappereau s’en tient à la superposition et l’échelonnement de formes pratiquement planes. Même si l’artiste est encore attachée à la présence de matériaux pauvres, elle procède par soustraction et concentre au plus prés son propos. Une porte de placard, une table rabattue sur ses quatre pieds ou une chaise brisée affirment encore leur réalité dérisoire de déchets. C’est cependant en tant que surfaces durement cernées qu’elles instaurent avec une plaque de formica déchirée ou un vieux pan de linoléum une relation qui est de l’ordre de celle qui se joue essentiellement entre fond et forme. La problématique qui s’affirme ici est radicalement picturale et l’on serait presque tenté de dire qu’elle frôle la composition abstraite si l’artiste ne semblait pour le moment vouloir l’éviter. Tout est dit en effet dans cette tension extrême qui s’instaure dans une perspective raccourcie entre couleurs et formes élémentaires en un certain ordre assemblé.

1990. Ghislaine Vappereau titre ses nouvelles pièces  Sculptures. Il s’agit effectivement d’œuvres en volume, dépouillées à l’extrême. Seuls ceux qui connaissent le cheminement antérieur de l’artiste, peuvent encore déceler par bribes les restes de ce qui fut autrefois un mobilier de cuisine. Quatre pieds de table plus ou moins serrés les uns contre les autres, quelques barreaux de chaises en ordre dispersé semblent les traces à peine perceptibles du réel. L’objet utilitaire certes est encore là mais affronté à un autre volume, totalement abstrait celui-là, qui lui sert de socle. En bois, en cire ou en béton cellulaire, l’artiste a tenu à lui impartir pratiquement les mêmes dimensions que la forme qu’il supporte. Ici la sculpture se prolonge et se double vers le bas d’un volume autre. D’une matérialité et d’une densité différente, il permet à l’artiste d’analyser nonsans humour parfois, un ensemble de relations spatiales complexes où se conjuguent le construit et le trouvé, le lourd et le léger, ou encore l’opaque et le transparent. C’est à partir de cette relation extrêmement tendue, entre l’œuvre et son piédestal, telle qu’elle a été offerte à la modernité par Constantin Brancusi, que Ghislaine Vappereau entend aujourd’hui continuer à s’interroger sur tout ce qui peut dans l’histoire de la représentation servir un propos d’une extrême rigueur et d’une grande probité.