Dans Art Press n°302 juin 2004
Cette exposition est la bienvenue dans la mesure où cela faisait plusieurs années que le travail de Ghislaine Vappereau n’avait pas été envisagé sur une longue période chronologique : des œuvres du début des années 1980 côtoient les pièces récentes, comme la vidéo Un peu de temps à l’état pur (2004), réalisée en collaboration avec Léo Delarue. Bienvenue aussi la programmation des expositions qu’Olivier Grasser défend dans une institution qui a su poursuivre la cohabitation entre arts visuels et spectacle vivant, comme en témoigne la rencontre entre Marceline Lartigue (chorégraphe) et l’artiste, favorisant la création du spectacle le Dixième de novembre 1619, présenté le soir du vernissage.
À la fin des années 1980, la sculpture de Vappereau faisait référence au bas-relief, à la couleur et à l’espace évoquant le réel et la domesticité (la cuisine). Mobilier, carrelages, Formica, morceaux de linoléum usagés ou récupérés servaient une réflexion très sensible sur l’état de latence d’un objet qui perd peu à peu son nom et sa fonction. Petit à petit, ces manipulations, prétextes à des expérimentations affinées et singulières du plan, de l’ombre et de la couleur se sont détachées de ces matériaux très « proustiens », capteurs d’une mémoire oubliée. Plus récemment les bas-reliefs semblent avoir retrouvé le sol rendant possible une nouvelle relation de présence du spectateur parce qu’il s’agit tout simplement d’œuvres en volume, dans l’espace, et même parfois sur socle ou table suspendue. Mine de rien (titre d’une série antérieure), Ghislaine Vappereau semble donc se méfier des catégories trop simplistes : elle n’hésite d’ailleurs pas à utiliser les matériaux les plus « connotés », voire les moins « fréquentables » dans la création contemporaine, comme le tissu, le bois, la céramique et la porcelaine. Il en résulte, dans ce grand espace de la maison de la culture d’Amiens, une impression d’immense puzzle dont chaque pièce est à la disposition du spectateur afin qu’il reconstitue un parcours possible.
Pour celui qui a envie de regarder posément, la visibilité du travail en souffre parfois, dans ce dédale formé d’un très grand nombre de pièces dont certaines mériteraient plus de simplicité (par exemple la très belle Mine de rien de 1998, abri dérisoire et poignant en tôle ondulée, cire et polyester, littéralement « avalé » par le dispositif global de présentation) L’exposition de Ghislaine Vappereau à Amiens, paradoxalement, nous donne envie de voir plus et mieux. Face à ses productions les plus récentes, dont la pluralité ne cesse de retraverser des formes « qui cherchent le point ultime d’identification dans la mémoire ou qui convoquent des gestes de sculptures dissimulées dans le désordre de l’installation (1) », il semblerait bien que l’on ait parfois besoin de retrouver cette poétique silencieuse qui habitait les pièces antérieures.
Claire Nédellec
Maison de la culture d’Amiens, du 20 mars au 20 juin 2004.