Percevoir, c’est négocier le réel, c’est une transmutation élaborée depuis les impacts lumineux. Le regard élabore la vision pour la rendre intelligible en signes. Des étapes dans ce processus de reconnaissance nous conduisent à reconnaître, à nommer, abstraire avant de retourner au flou de la matière. Ces sculptures déploient des passages vers l’identification. Éventuellement, ce processus peut enclencher un retour en arrière vers une forme déchue revenue à l’état de matériau.
Le réel même dans sa réalité tangible n’est donc jamais si éloigné de son abstraction, ils se soutiennent l’un l’autre. Un processus de concrétion et de dislocation fait émerger des silhouettes qui les apparentent à des chaises. Elles s’appuient sur la fantastique propension du regard à faire image et à faire sens.
Ces formes ont été démantibulées pour être transposées dans des matériaux souples, articulés. Dans ce processus d’élaboration, les métamorphoses apportées par le changement d’échelle, les décompositions de plans, les réalisations en matériaux et techniques différents multiplient les approches.
La céramique a rigidifié la souplesse des poses apportées par le mouvement de la danse pour les suspendre dans des postures étirées, désarticulées.
La pesanteur s’est alanguie donnant l’illusion d’un temps suspendu dans cette attraction vers le sol. La maille les a agrandies retournant aux masses colorées d’origine. Lestées, elles se déforment dans des postures appesanties. Chaque transformation répercute l’étape précédente dans un cortège de transfiguration et de déchéance.
C’est peut-être dans les installations de sculptures, regroupées sous le titre des « cortèges des transfigurations et des déchéances » que la part de réactivation dans une exposition est la plus manifeste. Ces états de forme, rigide, transparente, molle, flasque font société mais se redistribuent des rôles qui s’improvisent à chaque installation.
Ces sculptures réalisées sur 25 ans, à partir des formes de tables et de chaises retiennent des étapes dans ce processus de reconnaissance. Elles s’épaulent les unes les autres pour dérouler ce parcours. La forme se concentre dans une silhouette. L’ombre atteste de la forme mais dans une masse si simplifiée qu’elle induit un doute. Aussi, l’ombre s’adjoint un double, mais le voilà qui s’avachit en guenille. Ce sont autant d’interprétations dans des matériaux différents, des techniques différentes (contreplaqué, cire, bois, textile, grillage, textile, céramique, aluminium ..) Cette origine mobilière commune et la succession des variations qui découlent les unes des autres leur assurent les conditions d’un regroupement mais en toute indépendance. La présentation renouvelle un dialogue ou plutôt une conversation visuels. Il est indéniable que ces formes reprenant l’échelle humaine suggèrent une présence, amplifiée par la spécificité des matériaux et qui, comme le titre l’indique se joueraient d’une gamme de postures depuis celle de gloire jusqu’à la perte.
Depuis 2004, chaque exposition a été une opportunité pour vérifier les déclinaisons possibles de ces cortèges ; faire cohabiter des pièces sur 25 ans d’écart, introduire une distance entre une pièce en textile flasque et son double en céramique, un doute entre une forme en bois et son ombre en grillage. Chaque lieu d’exposition est l’occasion de remettre en scène ces sculptures spatialisées, alignées ou composées sur un mur. Ce sont autant de conditions pour improviser avec le lieu, un espace ouvert ou gradiné, la longueur des murs disponibles. Partition où l’espace et l’emplacement des notes est à redéfinir. Variations d’échelle, de texture sont autant dde réactivations induites par le lieu que révélées par le lieu. La mise en espace se laisse guider par le regard, le déplacement du corps chorégraphiant l’exposition.