La série des Si peu reconnaissable a été réalisée par Ghislaine Vappereau entre 2004 et 2006 lors d’une première résidence d’artiste à l’Ecole Nationale Supérieure de Limoges, suivie d’une seconde à l’Ecole d’Art du Beauvaisis et enfin au Centre d’art Passages à Troyes. Ces immersions plastiques, comme les expositions qui ont suivi ces événements, furent alors pour l’artiste l’occasion de revisiter et de transposer une partie de ses sujets au travers de la céramique et de la maille. En effet, depuis 1989, Ghislaine Vappereau, dans son incessante exploration du territoire de la sculpture, a expérimenté de manière récurrente les potentialités plastiques et sculpturales d’une même forme : la chaise. Issu d’une première recherche menée autour du thème des cuisines, l’objet, décliné sous plusieurs configurations formelles, est devenu, pour l’artiste, une façon d’éprouver le réel, de jouer d’un équilibre instable, entre abstraction ressentie et réalité à vérifier. Abandonnées quelques temps, ces chaises sont poétiquement réapparues dans son univers sculptural en 2002, à la suite d’une collaboration scénographique avec une chorégraphe. Ainsi, après avoir été déclinées sous plusieurs formes, distordues, rabattues par plans, puis sous différents matériaux que sont le bois, le plâtre et le lin, les chaises de la série Si peu reconnaissable, se trouvent à présent pourvues de nouveaux attributs, la céramique et le textile tricoté. Outre l’apport d’une nouvelle déclinaison de matières et de matériaux, les nouvelles techniques permettent surtout à Ghislaine Vappereau de mettre en exergue leurs qualités intrinsèques mais aussi de jouer de toutes formes d’oscillations. D’abords rétrospectives, en éprouvant les bouleversements occasionnés de par la sollicitation de formes anciennes et l’utilisation de la céramique et du textile, mais surtout en ce que les potentialités du matériau peuvent offrir à l’artiste. Travailler la céramique, par exemple, c’est jouer avec la souplesse de la matière, user de sa mollesse, risquer la fragilité pour enfin laisser au feu le soin de réaliser son ouvrage. Les sculptures oscillent donc entre la mollesse ressentie et la rigidité tangible, entre une résistance avérée et une fragilité palpable, ou encore entre forme et informe. L’œuvre de Ghislaine Vappereau s’enrichit de ces contraires. En travaillant essentiellement les potentialités abstraites et esthétiques de l’objet, l’artiste s’attache à ne conserver qu’une idée sommaire du sujet (la chaise). Aussi, Ghislaine Vappereau étire et étiole les formes jusqu’à les faire glisser dans un interstice, un entre-deux. Frontales, écrasées et aplaties, ce ne sont plus des chaises mais des masses à la fois identifiables et inattendues, reconnaissables et indistinctes. Désormais, elles s’apparentent d’avantages à des corps décharnés, des « peaux de chaises », dont l’absence d’ossatures rend les enveloppes méconnaissables. Puis, inscrivant irrémédiablement ces œuvres dans une corporéité latente, Ghislaine Vappereau désarticule les principaux organes de ces « peaux de chaises », les disloque pour ensuite les réarticuler à l’aide de liens. Comme pour envisager une mobilité du corps, ces « peaux » en latex ou céramique sont présentées soit en sommeil, étendues sur des plaques, soit accrochées tels des pantins, ou un linge. Elle laisse donc pendre ses sculptures dans le vide, ce qui revient, selon Maurice Fréchuret, « à répondre aux sollicitations de la gravitation sans pour autant céder totalement à elles ». Dès lors, face à ces architectures précaires, à cet équilibre improbable qui défie effrontément les lois de la gravitation, naît une tension entre la sculpture qui menace de chuter et la préciosité que l’on prête d’accoutumée à la céramique et à la porcelaine. Avec la série des Si peu reconnaissable, le temps et les mouvements semblent se suspendre. Plus que jamais, les chaises de Ghislaine Vappereau sont dépossédées de toutes fonctionnalités apparentes, arrachées du sol, disloquées, elles perdent tous les attributs qui les rendaient usuelles. Mais de cette utilité perdue, les chaises gagnent en autonomie ; arrachées de leur servitude, suspendues, les voilà qui entonnent le chant de l’émancipation. Chancelantes, elles s’apprêtent, à la fois, à s’animer et à danser mais aussi à tomber dans un fracas assourdissant, le visiteur se faisant quant à lui le témoin de ce moment de grâce pétrifiée.
Aimeric Audegond